En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ?
Je vous remercie pour l'opportunité que vous m'offrez de partager mon expérience qui, je l'espère, motivera d'autres femmes à s'investir dans une industrie qui me passionne.
J'ai effectué des études universitaires jusqu'à la maîtrise en économie et statistiques et obtenu un titre « d'ingénieur maître » de l'Institut Universitaire Professionnalisé de Toulouse.
Grâce au format professionnel, mes études ont été couplées à de nombreux stages pratiques, que j'ai effectués aux départements des études économiques d'institutions comme la Banque Africaine de Développement et la BCEAO, ainsi que la conduite d'un projet avec l'ONUDI sur la mise à jour du plan directeur de développement industriel de la Côte d'Ivoire.
J'ai entamé ma carrière en 1998 au sein de la SGI Hudson comme chargée d'études au sein de la direction de l'Ingénierie Financière (aujourd'hui Banque d'Affaires).
J'ai marqué un arrêt pour obtenir un MBA à Howard University en 2002 à Washington, où j'ai travaillé un an dans la formation dans l'immobilier commercial.
Ensuite j'ai intégré la Banque Royale du Canada dans la banque de réseau, les investissements dans les fonds collectifs et la planification financière ; et en 2008 j'ai décidé de rentrer en Côte d'Ivoire afin de m'associer au promoteur de la SGI Hudson & Cie que je dirige aujourd'hui.
Le marché financier dans la région UEMOA est encore naissant et nos activités à Hudson sont intégrées, partant de l'analyse et la recherche sell-side, au courtage de valeurs mobilières, jusqu'à la gestion d'actifs et de la banque d'affaires. Nous arrivons à conduire ces quatre métiers sous la même enseigne.
Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ?
Je me suis passionnée par les marchés financiers et la bourse en dernière année d'IUP.
J'ai alors réussi à obtenir un stage pratique à la Chambre de Commerce et d'Industrie en 1997 alors que se mettait en place la Bourse Régionales des Valeurs Mobilières. Le projet était coordonné par la CCI qui organisait en son sein les formations pour les futurs acteurs du marché.
J'ai été très soutenue par mes parents et mes proches et j'ai réussi à m'orienter sur la base d'informations que j'ai trouvées en bibliothèque, des lectures et la recherche documentaire que j'ai effectuée.
Il est important de noter qu'à la sortie du lycée, je souhaitais être truquiste, mais je n'ai pas eu le soutien escompté de mes parents, j'ai alors intégré la faculté des sciences économiques (DEUG) que j'ai après quittée pour l'Institut Universitaire Professionnalisé de Toulouse.
Ensuite tout s'est articulé sans grandes difficultés jusqu'au milieu de ma carrière.
La finance étant une industrie majoritairement masculine, j'ai dû m'imposer par mon acharnement au travail et mon abnégation, outre l'aspect purement professionnel, je n'ai jamais perçu de difficultés dues à mon genre.
En 2012, lorsqu'il m'a été proposé de devenir Directeur Général de la SGI HUDSON & Cie, j'étais enceinte de 4 mois de mon 3ème enfant, et j'ai dû concilier mes nouvelles responsabilités avec mon rôle de mère.
Je suis vraiment reconnaissante de ce parcours et de ces personnes que j'ai eu la chance de côtoyer, qui ont cru en moi et qui m'ont accompagnée à chaque étape citée.
Est-ce difficile d'articuler vie de femme, vie de famille, et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?
Effectivement il n'est pas aisé de tout mener de front et équilibrer les différents aspects de nos vies. Il y a eu une époque où je travaillais et n'avais ni enfants ni époux, puis l'époque des enfants en couche et biberons, et enfin celle que je vis actuellement où ils entrent au collège.
Bien évidemment, les deux dernières m'ont obligée à trouver des outils : j'ai nourri tous mes enfants exclusivement au lait maternel jusqu'à 6 mois minimum et le premier jusqu'à 11 mois ! J'emportais mon tire-lait au travail, je déjeunais sur place en préparant les biberons pour la journée du lendemain. J'ai stoppé l'allaitement pour l'aîné à 11 mois, car j'avais une mission de 10 jours et de toutes les façons le lait maternel n'était plus essentiel.
Aujourd'hui, mon défi est le suivi scolaire, trouver du temps pour les moments en famille et articuler les nombreuses missions. Bien entendu, j'ai beaucoup d'aide de mon époux et de ma famille. J'essaie de travailler en même temps que mes enfants et de faire des activités de loisirs qui les intéressent tout en prenant des vacances ensemble et en couple une à deux fois par année.
Je n'ai pas un secret mais un principe, qui est d'utiliser l'assistance offerte de manière gratuite ou onéreuse, d'en apporter également aux autres femmes qui partagent les mêmes sujets et de rechercher toujours l'équilibre des éléments nécessaires à une vie épanouie.
Je refuse l'idée préconçue selon laquelle en tant que femme, je ne pourrais réussir qu'une chose à la fois : soit une vie de famille, soit une carrière.
Je suis des plus convaincue que nous pouvons tout avoir, mais il faut s'organiser au quotidien et dans la durée.
Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?
A mon avis, il faut de la passion, de la curiosité et une bonne dose de résilience ; car sans la capacité à tenir et se relever, la passion et la curiosité s'éteignent.
Ce sont elles qui sont le moteur qui permet d'apprendre en continu, innover, rechercher et apporter des solutions financières qui répondent à des problématiques posées par nos clients.
Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?
Ma mère est mon premier modèle et ma marraine Me Bitty KOUYATE le second.
La première (avocate) et la seconde (notaire) ont mené de front leur carrière et leur vie d'épouse et de mère.
Elles m'ont montré que cela était possible et m'ont donné envie de faire de même.
Cela étant, j'ai admiré d'autres femmes pour leur capacité à trouver des solutions aux situations qu'elles rencontraient, que ce soit en gestion du capital humain, ou en développement des affaires et gestion de carrière ; je pense qu'elles ont des outils à partager.
Je vais citer Sena KPOTSRA qui était jusqu'en décembre dernier la Secrétaire Générale de la commission bancaire de l'UEMOA et Lala Moulaye EZZEDINE qui est aujourd'hui Présidente du Conseil d'Administration de la banque BOA en Côte d'Ivoire.
Aujourd'hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France (sur la base d'une étude Vernimmen 2017 sur le genre des directeurs financiers des sociétés du SBF 120). Qu'est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?
A mon avis, c'est le fait d'avoir à coupler les demandes fortes de ces fonctions avec la vie personnelle et surtout les arrêts lors des grossesses.
Ce second aspect ne peut être délégué et met une pression sur les femmes qui peuvent avoir des grossesses difficiles et des charges additionnelles avec l'arrivée d'un enfant.
Les compétences techniques ou managériales ne sont pas en cause, mais surtout la recherche de cet équilibre, qui parfois fait que certaines femmes préfèrent se cantonner à des rôles de second plan pour ne pas accumuler trop de responsabilités et peut-être parfois ne pas être parfaite dans le rôle.
Je trouve que parfois nous recherchons la perfection alors que tout est dans le processus et la mise en place de solutions que l'on ajuste au besoin.
Pour augmenter cette proportion, il faudrait que les femmes elles-mêmes acceptent de prendre le risque d'être imparfaites et se lancent.
Il n'y a pas longtemps, j'ai entendu un homme dire « quand une femme le fait (xxx une action incorrecte), c'est encore plus dommage… »
Je me suis retrouvée pendant 10 minutes à lui demander de m'expliquer pourquoi cela était plus dommage pour une femme que pour un homme, finalement il s'est excusé et j'espère avoir réussi à le faire réfléchir.
Mais cela démontre la pression imposée aux femmes plutôt qu'aux hommes dans le milieu professionnel qui explique qu'elles finissent par se limiter. Nous, femmes, devons donc nous défendre en meute. Cela, je l'ai compris très tard, mais aujourd'hui je véhicule ce message dès que possible.
Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?
Je leur dirai qu'elles doivent prendre des risques et s'exprimer fort et distinctement. C'est la première étape pour être écoutée. Les compétences techniques, elles les ont déjà, il faut maintenant utiliser les relations à plusieurs niveaux et ne pas cantonner les utilités. Une amie peut devenir une cliente et un mentor aussi. Le réseau est important pour l'évolution professionnelle, pour une aide avec les enfants ou ouvrir des portes, il faut donc le bâtir, le maintenir et l'utiliser.
Avez-vous une autre conviction forte à partager ?
Ma conviction forte, je l'ai déjà mentionnée plus tôt. Nous pouvons tout avoir, la carrière, la famille, et l'épanouissement. Allons chercher le tout ensemble !